Le projet de Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières fut approuvé ce vendredi 13 juillet 2018 par les 192 États-membres des Nations-Unis, à l’exception des États-Unis [1]. Ce pacte sera juridiquement non-contraignant mais il vise à introduire de la coopération et des bonnes pratiques dans le domaine des migrations internationales. Néanmoins avant d’évoquer les changements que peut amener ce pacte dans un prochain article, il est fondamental de comprendre la gouvernance globale dans le domaine des migrations. En effet, sans une compréhension d’une telle gouvernance, il n’est pas possible de saisir les enjeux migratoires ni les changements que peut amener le pacte.

La gouvernance mondiale sur les migrations est fragmentée

Á l’échelle mondiale, les migrations ne sont pas régies pas un cadre institutionnel fort. Souvent, les États-nations développent des accords bilatéraux ou multilatéraux pour créer un socle juridique, qui encadre les flux migratoires entre deux ou plusieurs pays [2]. Malgré le développement de tels accords, il n’existe pas de normes internationales, contraignantes, homogènes et cohérentes en matière de migrations. Pour le dire d’une autre manière, il n’existe pas de traité international ou d’organisation supranationale régissant directement les migrations [3].

Néanmoins, il existe bel et bien une gouvernance mondiale dans ce domaine. Le concept de « gouvernance » désigne un ensemble de normes, de principes et de procédures de décisions régissant un domaine d’activité. Les acteurs de la gouvernance mondiale sont pluriels, il peut s’agir d’acteurs étatiques, non-étatiques, internationaux, régionaux ou locaux [4].

Ainsi, la gouvernance mondiale sur les migrations est marquée par une pluralité d’acteurs et de règles fragmentées. En effet, étant donné qu’il n’existe pas de traité international contraignant concernant les migrations, ces dernières doivent être régulées par des institutions régissant partiellement un sous-domaine. Résumer toute la complexité de la gouvernance des migrations internationales est une tâche difficile, mais il est possible de décomposer celle-ci en trois sous-domaines [5].

1. Le déplacement des travailleurs

2. Le déplacement des voyageurs

3. Le déplacement des réfugiés

Premièrement, le déplacement des travailleurs est partiellement régulé au niveau international par l’Organisation internationale du travail (OIT). En effet, une unité de cette organisation onusienne se concentre sur la migration internationale du travail. De plus, en 2006, l’OIT publia le Cadre multilatéral de l’OIT pour les migrations de main-d’œuvre, celui-ci est non-contraignant mais il vise à donner des lignes directrices aux États pour améliorer la protection des travailleurs migrants [6].

Deuxièmement, le déplacement des voyageurs est l’objet de standards communs sur les passeports développés par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Cette organisation onusienne a pour compétence d’harmoniser et standardiser les documents d’identité servant aux voyages internationaux [7].

Troisièmement, il est important de souligner que le déplacement des réfugiés est le sous-domaine des migrations le mieux doté en normes contraignantes. En effet, le droit des réfugiés est l’objet du droit international des droits de l’homme (DIDH) et du droit international humanitaire (DIH). Il existe deux instruments clés régissant le droit des réfugiés, la déclaration universelle de 1948 et la convention de 1951 relative au statut des réfugiés [8] [9]. Cette dernière fut ratifiée par la majorité des États à l’exception des États-Unis. De plus, il est crucial de noter que le rôle de « gardien de la convention » est assuré par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) [10].

Il convient également de noter qu’il existe une instance tentant de traiter ces trois sous-domaines en même temps, en effet, il est important de mentionner le rôle de plus en plus prépondérant de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette organisation fut créé 1951 en dehors du cadre onusien, elle en vise à contribuer aux développements d’accords bilatéraux et multilatéraux [11]. Au départ l’OIM réunissait un petit nombre de pays d’accueil de migrants. À partir des années 1990, elle regroupe un large éventail de pays du nord et du sud. De nos jours, cette organisation agit comme une instance facilitatrice. C’est-à-dire qu’elle constitue une tribune multilatérale pour les développements d’accords inter-gouvernementaux en matière de migration. De plus, elle joue un rôle important dans la diffusion d’information et le transfert de connaissances en matière de bonne gouvernance [12].

La souveraineté des États prévaut en matière de migrations

Malgré le développement d’une gouvernance mondiale sur les migrations, les États gardent en grande partie la souveraineté des politiques des entrées sur leur territoire tant que celles-ci ne contreviennent pas aux normes impératives du droit international [13]. L’un des exemples les plus parlants des rares normes impératives prévalant sur la souveraineté des États est le principe de non-refoulement. Selon le paragraphe 1 de l’article 33 de la Convention de 1951 [14]:

« Aucune personne visée au paragraphe 1 de l’article premier ne sera soumise à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière ou, si elle est déjà entrée dans le territoire où elle cherchait asile, l’expulsion ou le refoulement vers tout Etat où elle risque d’être victime de persécutions. »

Ainsi, un État ne peut refuser l’entrée sur son territoire d’une personne risquant de mourir ou de subir des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine. Comme l’affirme Vincent Chetail, Professeur de droit international à l’Institut des Hautes Internationales et du Développement (IHEID),  la convention de 1951 n’établit pas les dispositions des procédures d’asile, néanmoins son principe de non-refoulement est aujourd’hui presque universelle avec la transposition de celui-ci dans des lois nationales et régionales [15].

Malgré l’existence d’exceptions pour les réfugiés, les États gardent la souveraineté en matière de droit d’entrée et de résidence sur leur territoire. En d’autres mots, la migration des travailleurs et des voyageurs est sous l’hospice de la souveraineté des États, qui sont libre de façonner leurs propres politiques en matière de séjour des non-résidents [16]. Néanmoins, il est possible d’observer une régionalisation de cette souveraineté. En effet, depuis la moitié des années 1990, une politique commune des droits de séjours se développée en Europe, donnant lieu à l’espace Schengen [17]. Aujourd’hui, celui-ci regroupe la majorité des États-membres de l’Union Européenne, et d’autres États non-membres dont la Suisse. L’espace Schengen fut accompagné par la création d’une frontière commune européenne, contrôlée par l’agence européenne de garde-frontières, Frontex.

Il faut plus de rationalité, de clarté et d’humanité

Comme dit plus haut, la gouvernance sur les migrations internationales qui prévaut de nos jours est fragmentée, de plus, les normes internationales dans ce domaine sont souvent non-contraignantes. Malgré le développement d’un droit contraignant minimal en faveurs des réfugiés, le déplacement des travailleurs et des voyageurs est sous la houlette de la souveraineté des États. Revenir sur la souveraineté des États relève d’une tâche difficile, néanmoins le besoin d’une politique qui protège l’intégrité physique des migrants est réel. En effet, selon Médecins sans frontières (MSF), entre la mi-juin et la mi-juillet 2018, plus de 600 migrants tentant de rejoindre l’Europe sont morts en Méditerranée, dons des bébés et des enfants [18].

En outre, la gouvernance sur la migration est teintée d’une incohérence qui affecte à la fois les migrants et les pays d’accueil.  En 2014, Amnesty International mettait en lumière le fait que l’Union Européenne avait dépensé 4 milliards d’euros pour financer son programme-cadre pour la gestion des flux migratoires entre 2007 et 2013. Parmi cette somme, 46% était alloué à la gestion des frontières extérieures, tandis que seulement 17% était réservé aux politiques en faveur de l’intégration [19].

Faire en sorte que les migrants ne risquent pas leur vie et s’assurer que les migrations profitent aux pays d’accueil sont les thèmes du pacte mondial pour les migrations. Celui-ci sera non-contraignant mais il aura peut-être un impact important sur le comportement des États sur le long terme. Ce pacte et ses possibles effets seront traités dans le prochain article du CIPADH. 

 

Par Alvaro Candia Callejas

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Bibliographie

[1] BOURDEAU, Marie. (14.07.2018). « L’ONU s’accorde sur un pacte mondial sur la migration ». Le Monde, Disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2018/07/14/l-onu-s-accorde-sur-un-pacte-mondial-sur-la-migration_5331321_3210.html. (Consulté le 16.07.2018).

2] BETTS, Alexander. « Introduction: Global Migration Governance » dans Alexander BETTS (Ed), Global Migration Governance, Oxford: Oxford University Press, (2011), p. 3.

[3] Ibid, p. 6.

[4] Ibid, p. 4.

[5] Ibid, p. 11

[6] Ibid, p. 11

[7] Ibid, p. 11

[8] ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU, Déclaration universelle des droits de l’homme, (10.12.1948). Disponible en ligne :http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/, (Consulté le 16.07.2018).

[9] ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU, Convention relative au statut des réfugiés, (28.07.1951). Disponible en ligne : http://www.refworld.org/docid/48abd59af.html, (Consulté le 16.07.2018)

[10] LOESCHER, Gil. “UNHCR’s Origins and Early History: Agency, Influence, and Power in Global Refugee Policy”, Refuge, Vol 23, No. 1, p. 78.

[11] BETTS, Alexander. « Introduction: Global Migration Governance » dans Alexander BETTS (Ed), Global Migration Governance, Oxford: Oxford University Press, (2011), p. 12.

[12] Ibid, p. 12.

[13] DI PASCALE, Alessia. “Exceptional Duties to Admit Aliens” dans Richard PLENDER, Issues in International Migration Law. Leyde & Boston: Brill Nijhoff, (2015), p. 201.

[14] ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L’ONU, Convention relative au statut des réfugiés, (28.07.1951). Disponible en ligne : http://www.refworld.org/docid/48abd59af.html, (Consulté le 16.07.2018)

[15] KOLLER, Frédéric. (21.09.2015). « La Convention sur les réfugiés est quasi universelle », Le Temps, Disponible en ligne : https://www.letemps.ch/monde/convention-refugies-quasi-universelle. (Consulté le 17.07.2018).

[16] DI PASCALE, Alessia. « Exceptional Duties to Admit Aliens » dans Richard PLENDER (Ed), Issues in International Migration Law. Leyde & Boston: Brill Nijhoff, (2015), p. 215.

[17] IGLESIAS SÁNCHEZ, Sara. « Free Movements of Persons and International Organisations” dans Richard PLENDER (Ed), Issues in International Migration LawLeyde & Boston: Brill Nijhoff, (2015), p. 226.

[18] LE MONDE VIA AFP. (12.07.2018)  « Plus de 600 migrants sont morts en Méditerranée ces quatre dernières semaines », Le Monde, Disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/07/12/plus-de-600-migrants-sont-morts-en-mediterranee-ces-quatre-dernieres-semaines_5330453_3214.html. (Consulté en ligne le 19.07.2018).

[19] AMNESTY INTERNATIONAL. The Human Cost of Fortress Europe: Human Rights Violations against Migrants and Refugees at Europe’s Borders. Londres: Amnesty International Ltd, (2014), p. 9.

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